Sardou, tel quel


« Pour moi elle a toujours vingt ans / Le corps bronzé et les seins blancs… » Sardou fait du Sardou. De sa voix grave, assurée. Que lui demander d’autre? C’est carré, solide. Et ça se niche dans l'oreille. Du travail de pro. Chose étonnante: l’interprète-phare chante ici des chansons dont il n’a presque rien écrit. Mais il faut lire les crédits du livret pour s’en apercevoir. Car les paroliers retenus pour ce disque lui ont taillés des textes sur-mesure que Pierre Billon, qui réalise l’album, a su mettre en musique, comme il le faisait dans les années 70, avant qu’il ne se consacre à Johnny Hallyday dont il deviendrait le directeur artistique. Sinon, cinq chansons du CD sont signées Claude Lemesle, qui rencontra Sardou en 1973, un soir, dans un club de la rue Vavin, à Paris, alors que Billon partageait la table du chanteur. C’est donc un disque de retrouvailles. De 1974 à 1977, Lemesle et Sardou conçurent J’ai deux mille ans, Je veux l’épouser pour un soir (n°1 du hit-parade en juin 1974), Une fille aux yeux clairs (n°1 en décembre 1974), Un roi barbare (en 1976) et On a déjà donné. À la question: « Pourquoi n’avoir écrit que cinq chansons pour Michel Sardou? », Lemesle répondait en 2016 : « On a été proches pendant deux ans, et puis on s’est perdus de vue, je ne sais pas trop pourquoi. Je pense que je ne lui apportais pas suffisamment. Il attendait sûrement mieux de moi. » Quatre décennies ou presque après leur séparation, l’auteur se rattrape avec cinq titres supplémentaires. Dont ce clin d'œil à Yesterday, le standard des Beatles, Pour moi elle a toujours vingt ans, le corps bronzé et les seins blancs… Ou l’étouffante Colline de la soif, peinture apocalyptique sur le réchauffement climatique (« Ils avancent écrasés d’azur / L’air est plus épais qu’un mur… »). En plus d’une chanson inattendue consacrée au pape François (San Lorenzo, de Gérard Duguet-Grasser – qui d’autre que Sardou pour évoquer les amours de jeunesse du très saint Père?) ou d'un plaidoyer pour l’euthanasie (Qui m’aime me tue, de Fred Blondin), Sardou, en se glissant dans la peau d’un acteur de troisième zone, d’une vague doublure-lumière, rend un hommage au 7ème Art (Le Figurant, de Benoit Carré) conçu comme un générique de stars (Bébel, Gabin, Bourvil, Montand, Serrault, Lindon…) au fil duquel le nom d'Alain Delon, pourtant proche de Sardou (ils furent ensemble hommes de cheval), brille par son absence. Bizarre. Un peu comme si l’on enregistrait, sur le même angle, en parlant d’un choriste, une ode aux as de la variété française sans mentionner l’indémodable chanteur des Lacs du Connemara, des Bals populaires, de Je vais t’aimer, du France, de La Maladie d’amour, d’Être une femme et d’En chantant. Le genre d'étourderie grossière à laquelle, c’est certain, Claude Lemesle aurait échappé.

Baptiste Vignol