Un peu de tendresse noire l'été



On connait leurs duos (La Matinée, Nous dormirons ensemble), lui, avec sa voix de violoncelle, elle et son timbre d'orgue. Qu'il est d'ailleurs touchant d'entendre Robert le diable ou Cuba si tellement incarnées par Ferrat chantées ici par Christine Sèvres, et avec quelle netteté, quelle maestria. C'est une réédition de vingt-trois titres bien serrés parue il y a quelques années déjà, en 2011, de deux 33 tours sortis chez CBS en mai 1968 (tué par les événements) et février 1970 avec des chansons de Ferrat, son époux (parmi lesquelles Tu es venu, taillée pour elle, que reprendra Cora Vaucaire), d'Henri Gougaud (impeccable et jazzy Béton Armé), de Michel Conte (Et bye bye, moqueuse et libérée), d'Audiberti et Jorge Milchberg, de Gilles Vigneault, de Pierre Tisserand, de Léo Ferré (Âme te souvient-il, d'après Verlaine, modèle d'interprétation) et quatre bijoux de Brigitte Fontaine, dont Maman j'ai peur, écrite avec Jacques Higelin, toutes orchestrées par Alain Goraguer, François Rauber et Jean-Claude Vannier. Du grand art. Quand on demande à Anne Sylvestre le nom de la chanteuse qui l'aura le plus marquée, sans hésiter, elle répond: «Christine Sèvres. C'était la plus grande.» La voir sur scène était, dit-on, inoubliable. L'écouter demeure une leçon. C'est en Ardèche qu'en 1972 Christine Sèvres se retira pour se consacrer toute entière à la peinture, avant de mourir en 1981. Par chance, Gérard Meys est un homme d'engagement et de fidélité. Grâce aux Disques Temey, on peut encore frémir à la voix mi-flamme, mi-velours d'une femme révoltée que Brassens aimait emmener en tournée.

Baptiste Vignol