Escudero visait juste



La lumière s'éteignait, son fils Julian égrainait quelques notes de guitare sur un voile d'accordéon et Leny paraissait sur scène. Les planches, il les traversait lentement, comme l'on va faire son devoir, sous les applaudissements. Chaussé de bottes, il se présentait rasé de frais, vêtu d'un blue-jean repassé, d'une chemise au col déboutonné, pas comme les gens de la télé qui l'ouvriraient jusqu'au nombril s'ils osaient un peu, tant ils se voient beaux, non, celle du carreleur qui s'est habillé après le turbin mais qui jamais ne portera la cravate du sous chef. Planté devant son micro, le poing droit solidement fermé, il chantait d'une voix sourde, profonde, de glaise et fraternelle, les bras posés le long de son corps sec et musclé. Avec cette magnifique gueule de christ en souffrance. Et le public se taisait, pris à la gorge par son regard perçant, fixe et chargé d'âme, d'errances, d'amour et de colère. Ses bras, parfois Leny les déployait, alors ses mains s'illuminaient. Quand il criait «Rachel!», la salle se levait. Et l'on était loin des rappels… Le charisme est un don injuste, conféré par grâce divine. Ce dont n'ont évidemment pas conscience les gugusses de la télé. Avec son air d'être toujours «à côté», Leny Escudero était un conteur magistral.

Baptiste Vignol