C'était Téléphone


Être ou ne pas être rock. La question suscite des débats hystériques, parmi la critique s'entend, depuis la naissance du courant vers la fin des années 50. Une chose est sûre, dans cent ans les jeunes gens rebelles se contreficheront du rock'n roll (écrit à l'américaine) autant qu'ils se désintéressent aujourd'hui des premières cantates de Bach. 
Ce soir, dans une petite salle parisienne, trois ex-Téléphone joueront ensemble sur scène. Et ce sera forcément du tonnerre. Qu'on aime ou pas Téléphone. Cette question d'ailleurs enflamme les spécialistes. «Groupe de bal» pour Nicolas Ungemuth du Figaro, «Rolling Stones à la française» pour François Jouffa (le premier de nos journalistes à avoir interviewé Bob Dylan, les Beatles et la bande à Jagger), ce concert capte l'attention générale au point d'ouvrir les journaux télévisés. Qu'il ait fait du rock ou de la variété, voire même de la variété rock, le quatuor parisien dégoupilla entre 1976 et 1985 quelques chansons à la naïveté demeurée intacte trente années après sa séparation. C'était donc du bal de haut vol. Mais on dupe les masses. Ça n'est pas Téléphone qui se reforme, sa bassiste étant avec élégance zappée du projet par ses labadens. Pourtant, par peur de froisser son chanteur dont les refrains valent de l'or, de nombreux commentateurs saluent ces retrouvailles faisant comme si Corine Marienneau n'avait jamais existé. Sophie Delassein n'a pas la mémoire labile, elle met les pieds dans le plat et donne à Corine cette semaine la parole dans L'Obs. «Tous les deux ans, se lasse-t-elle, certains médias évoquent cette “reformation” comme si ma présence au sein du groupe était sans importance.» Le chanteur Alister rappelait hier sur sa page facebook combien son rôle était en réalité décisif: «Pour tous les mecs qui n’y connaissent rien en musique et qui, apparemment, ne comprennent pas l’importance de Corine dans Téléphone, je leur conseille de regarder ce Rockpalast de 1983. Ce qu’on appelle “tenir la baraque”. Gros problème de la critique rock française : ne pas savoir. Pathétique.» 
George Harrison avait coutume de dire que les Beatles ne pourraient pas reprendre la route tant que John Lennon serait mort. C'est kif-kif bourricot avec les anciens «jolis mômes» d'Hygiaphone tant que leur figure féminine, bien vivante, sera évincée d'un quelconque projet de brancher à nouveau l'appareil. Rock ou pas.

Baptiste Vignol