Daran d'Amérique


Une bonne chanson ne lasse pas qui la découvre et s'apprécie jusqu'à sa dernière note, disait Jacques Brel. LE MONDE PERDU n'en manque pas. Essentiellement écrites par Pierre-Yves Lebert sur des musiques de Daran, les chansons rugueuses de ce disque, parce qu'elles évitent d'être plaintives, s'écoulent sans embâcle. Avec sa seule guitare et muni d'un harmonica, Daran, désormais installé à Montréal, chante les destinées ordinaires, les amoureux amorphes incapables de nouveauté, les zones pavillonnaires dans lesquelles nul ne voudrait vivre, mais où l'on vit pourtant, avec ici la voie ferrée et de l'autre côté, les murs tagués d'une usine abandonnée («Aujourd'hui je traine mes jeunes rides/ Dans les grands hangars vides/ Est-ce que c'est dans la nature humaine/ D'aimer ses chaines?»). Parce qu'il chante avec dignité ceux qui vivent dans la dèche et que la dèche déshonore, parce qu'il dépeint ce dur métier qu'est l'exil, parce qu'il se penche avec estime sur les existences cloisonnées où tout peut partir en tonneaux («Depuis elle vient me voir/ À peu près toutes les semaines/ Ça en fera des parloirs/ Jusqu'à la fin de ma peine…»), parce qu'il s'élève à l'espérance («Je nous veux sans frontière sans limite et sans loi/ Je veux te respirer et vivre en toi/ Et croire qu'avant nous tout ça n'existait pas»), Daran fait œuvre d'humanité. «On était là, Youri, Mario, Youssouf et moi...» Silence. Le décor est planté.

Baptiste Vignol