Le sacre de Jeanne


Elle aime l'authentique, l'inattendu, «les champs illimités des horizons incertains et nouveaux»... Elle répugne aux modes tapageuses. Les pince-fesses la hérissent. Elle déteste les tricheurs et les donneurs de leçon. Respectant les gens simples, elle les écoute, avec une attention de fer. Surtout, elle cherche le rire. Et quand règnent la camaraderie, la complicité, l'harmonie, c'est le souk dans ses salons. L'album HISTOIRE DE J., sur la pochette duquel elle s'affiche sans apprêt dans la lumière naissante d'un matin corse, est aussi né de ces qualités-là, elle qui chante si bien ses défauts… Trois merveilles sur ce disque l'auront hissée parmi celles et ceux qu'elle admire. Comme je t'attends d'abord, pour l'enfant qui viendra, dont l'écriture exquise et la finesse du phrasé font mieux qu'évoquer Barbara. Petite fleur ensuite, dédiée à son père, opalescente et si proche dans la sûreté de l'interprétation des grandes chansons de William Sheller. Femme debout enfin, inspirée par sa mère, dont la mélodie toute en lenteur, faite pour porter les mots et pour mieux les faire entendre, aurait pu naître sur les touches du Bosendorfer noir de Véronique Sanson. Dans sa génération, celles des chanteuses nées sous Giscard d'Estaing (entre 1974 et 1981), il y a désormais Jeanne Cherhal et les autres. Ce qu'elle démontre aujourd'hui sur scène, belle comme une vague, épanouie, émouvante, dans un tour de chant conçu à l'ancienne, où les titres, soigneusement choisis, s'enchainent et meurent dans l'éclat de vifs applaudissements. Le rêve pour tout artiste accompli.

Baptiste Vignol