Pop culture



Une chanson où la mélodie aurait toujours l'avantage sur le texte, fut-il excellent. Voilà comment l'on pourrait définir un morceau «pop»; ce qui écarte du juke-box Brassens et la chanson de paroles. Pour les Inrockuptibles du 28 août 2013, Étienne Daho, «rédacteur en chef» du numéro, a demandé à «l'incorruptible Christophe Conte de dresser une photographie des acteurs de la toile musicale pop en France». Si sa généalogie parait d'abord séduisante, elle révèle vite trop d'oublis pour faire foi; sa grande faiblesse étant du reste d'avoir été conçue dans l'optique de plaire à son commanditaire, dont le sémillant journaliste, auteur en 2008 de la biographie «Une autre histoire de Daho» (Flammarion), serait plutôt midinette - même si dans «Le Top 100 des chansons que l'on devrait tous connaître par cœur» (Ed. Didier Carpentier, 2013), la liste de ses dix préférées ne mentionne aucun tube de Daho, mais du Polnareff, du Gainsbourg, du Barbara, du Christophe...


À en croire les Inrocks, la pop hexagonale aurait donc six entrées : Charles Trenet, Henri Salvador, Léo Ferré, Boris Vian, plus celles des compositeurs Pierre Schaeffer et Henry. L'inventaire démarre mal. Si en réalité tout commence par Trenet (Trenet n'est pas une branche, il est le tronc, d'où germèrent, ils l'ont eux-même affirmé, Henri, Boris et Léo), une géante, Édith Piaf, à qui Daho doit d'ailleurs le single le plus performant de sa carrière, Mon manège à moi (n°4 en janvier 1994), est mystérieusement passée à l'as. Dans l'ombre de la Môme, surgirent pourtant Aznavour et Bécaud, paters d'une ribambelle d'artistes dont la plus jeune, Olivia Ruiz, n'a pas davantage retenu l'attention du concierge. Idem pour Bourvil, une référence pour Jean-Louis Murat, Keren Ann ou La Grande Sophie. Mais Conte oublie également de pointer Antoine, premier chanteur français vraiment «psychadélique*» (Un éléphant me regarde, La route devant moi) et qui aurait dû cotoyer, à l'étage des années De Gaulle, Ronnie Bird et Dutronc. Surprise de ne pas y voir Marie Laforêt, qui révéla chez nous Jorge Milchberg, Bernard Wystraete et Egberto Gismonti. Franchement, les plus beaux yeux de la chanson française n'échauffèrent-ils point autant le hit-parade que Zouzou et Dani? Bizarre d'effacer Dassin... Sinon, il aurait été judicieux de placer, entre Vian et Ferré, Jean Ferrat qui travailla toute sa vie avec Alain Goraguer, le compositeur de Vian justement (Je bois, La Java des bombes atomiques, Fais-moi mal Johnny) et le premier arrangeur et orchestrateur d'albums de Serge Gainsbourg.
Au cœur des seventies, la longue silhouette de David McNeil manque parmi Yves Simon, Alain Souchon et Laurent Voulzy. (Si Voulzy figure dans l'arbre des Inrocks, il disparaît du poster qui illustrera le coffret FIER COMME UN COQ, 100 titres qui ont fait la pop française.) Tiens, nulle trace d'Albert Marcœur, ce franc tireur, ni de Dick Annegarn! Coutances, Mireille ou Bruxelles ont pourtant marqué la Variété, à commencer par Mathieu Boogaerts que Christophe Conte, lui, voit plutôt inspiré par Katerine. Révélateur. Quant au révisionnisme gommant Lavilliers et Thiéfaine des influences majeures nées de Léo Ferré, il résume la netteté historique du tableau.
Sur le palier des années Daho, pourquoi rayer les noms de Charlélie Couture et Stephan Eicher, dont les premiers albums sortirent avant MYTHOMANE? Injuste d'occulter Niagara. Niagara! Des refrains du tonnerre, des clips ambitieux et les jambes de Muriel Moreno. Les plus belles de la pop française. Étrange, pas de Valentins non plus à cette adresse. Quant à «ce connard de [Jean-Jacques] Goldman» (Ch. Conte), c'est comme s'il n'avait jamais existé.


Et nous voilà contraints de rappeler que les années 90 furent aussi celles de Dominique Dalcan, qui manque singulièrement dans le voisinage de Murat, d'Autour de Lucie et de Pierre Schott qui aurait mérité d'être affilié à Manset. Clarika? Conte connaît pas. Pas plus qu'Holden ou Bertrand Betsch. Nina Morato? Portée disparu.
Enfin, que fabrique Lou Doillon dans le hall des années 2000? PLACES (produit par Daho) est sorti en septembre 2012. Tandis que les disques d'Alister, Archimède, Damien, Claire Diterzi ou Renaud «Papillon» Paravel ont tonifié cette décennie. Des omissions, donc, qui sabotent l'ensemble; mais un scoop tout de même : Noir Désir faisait de la pop. ¡Canta!

Baptiste Vignol

* C'est dans Tombé pour la France (1985) qu'Étienne Daho prononce le délicieux: «C'est psychAdélique». Pour une «Anthologie de la bourde chansonnière», consulter l'hilarant dossier de Benjamin Chagall dans le n°7 de la revue Schnock, pages 83-93.


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En réponse à la réaction de Christophe Conte sur l'article Pop Culture:



Christophe, cher Christophe Conte, j'ajoute "cher" car tes billets durs me le sont assez pour que je débourse chaque semaine 5€80 (le prix des Inrocks à La Réunion!). Le terme "révisionnisme" t'aurait donc accroché. Je veux ici préciser, pour que ce soit très clair, qu'il a été employé en pensant à sa première acception (dans Le Robert: «Position idéologique préconisant la révision d'une doctrine dogmatiquement fixée»), jamais au sens négationniste qui lui a été donné plus tard, avec l'Histoire. Si malgré cette explication, le mot continue à te gêner, tu m'en verras désolé. Autre précision, plus dispensable, les disques de Jean-Jacques Goldman, Lavilliers, Olivia Ruiz ou Thiéfaine ne me touchent pas particulièrement, mais leurs immenses succès, passés ou actuels, et l'application avec laquelle ces faiseurs de chansons les écrivent, me semblent être des raisons suffisantes pour ne pas les mettre hors-jeu. Ceci dit, continue de nous parler de pop anglo-saxonne, tu y es l'un des tout meilleurs.

Baptiste Vignol