En toute confidence


Certaines vedettes sont si lisses et discrètes qu'on peut passer à côté de leur œuvre bien qu'on en connaisse les grands refrains. Aux adolescents nés sous Georges Pompidou, Julien Clerc chantait Lili voulait aller danser (1982), Cœur de rocker (1983) ou Melissa (1984) quand Bernard Lavilliers, Renaud, Téléphone ou Alain Souchon alignaient des tubes forts en pouvoir d'identification. Du poing sur la figure que lui ficha Patrick Dewaere («Il était costaud, j'ai eu très mal») quand l'acteur eut vent de la liaison entre sa compagne, Miou-Miou, et Julien Clerc, à la cocaïne dont le chanteur s'éprit un temps, en passant par les dîners mondains qu'il organisait chez lui autour de François Mitterrand, on en apprend de drôles sur ce mélodiste «jaloux de sa vie privée» comme il est précisé en quatrième de couverture de «Julien» (Calmann-Lévy), la biographie que Sophie Delassein lui consacre à partir d'entretiens menés avec l'artiste et ses proches. Des anecdotes qui font le sel d'une existence doublées d'une approche pointilleuse d'un répertoire imposant qui donne envie de réécouter certains disques, dont le fameux N°7 (1975) enregistré après que France Gall l'eut quitté.


Page 114, Julien Clerc évoque Gilbert Bécaud auprès duquel il débuta. «Le souvenir que j'en garde est celui d'un être très attachant, incandescent, doté d'une énergie incroyable [...], une bête à premières qui n'avait pas son pareil pour emballer les salles. C'était passionnant de le regarder travailler. J'ai beaucoup appris de lui, même si une partie de moi se refusait à utiliser ce que je considérais comme des ficelles. Son art des rappels et sa façon de chauffer le public avant de rechanter une seule chanson étaient tellement consommés que cela m'a servi de contre-exemple». Cette séquence, le rappel, qui jadis se méritait (Jacques Brel s'y refusait, «Demande-t-on à deux boxeurs épuisés après un combat de quinze rounds d'en faire un petit seizième pour le plaisir?», et Charles Trenet faisait payer très cher à l'organisateur sa Romance de Paris), est devenue le pis-aller final d'un tour de chant. Les lumières s'éteignent après une heure et demie de show, les spectateurs applaudissent gentiment, certains que l'artiste reviendra interpréter deux ou trois autres chansons comme s'il leur offrait un bonus. En novembre 2012, j'ai vu Julien Clerc pour la première fois sur scène au théâtre en plein air de Saint-Gilles-les Bains, à La Réunion. À la fin d'un spectacle épatant, tout en succès populaires, seul parmi mille criant «Une autre, une autre!», j'espérais à mi-voix: «Non, arrête-toi là! Surtout ne rechante pas! C'est superbe comme ça. Laisse-les avec cette petite déception.» Revenu sous les projecteurs, Julien Clerc salua sa foule sentimentale puis recula lentement pour, au moment pile de quitter les planches, dans une fraction de seconde, serrer son poing tel le champion de tennis après un coup droit gagnant. «Je les ai eus, dut-il se dire, ils sont debout!» et s'éclipsa. Qu'il m'eût été agréable de partager un tel instant avec Sophie Delassein qui excelle à dévoiler avec tact les secrets les mieux gardés des artistes.

Baptiste Vignol