Puisqu'il nous est cher


Avoir vingt ans et voir Stephan Eicher enflammer le Bataclan en 1990. Souvenir indélébile. L'Helvète venait de sortir en quatre ans SILENCE (1987), MY PLACE (1989) et ENGELBERG (1991), interprétés en anglais, en suisse-allemand et en français - une trilogie de première classe. Alors qu'à partir du mois d'août 1990, le monde tremblait devant les probables conséquences de l'invasion du Koweit par les troupes de Saddam Hussein, Stephan Eicher, originaire des Alpes bernoises, balançait avec hauteur et bon sens: "Est-ce que tout va si mal, est-ce que rien ne va bien? / L'homme est un animal me dit-elle" (Déjeuner en paix)... Aux paroles Philippe Djian. L'énergie du chanteur était foudroyante à la guitare, sa complicité avec le public fusionnelle, qui reprenait en liesse Two people in a room, Combien de temps, Sois patiente avec moi, Pas d'ami comme toi... Des chansons derrière lesquelles Da Silva pourrait courir des années encore. Quelques mois plus tard, en évitant Drucker et Jean-Pierre Foucault, l'élégance suisse, Stephan Eicher était devenu une star remplissant les Zénith et vendant ses disques au million. Pour donner une idée, en novembre 93, la sortie de CARCASSONNE était au moins aussi attendue que VENGEANCE de Biolay. Le phénomène Eicher s'est depuis dissipé... Mais L'ENVOLÉE, douzième volume de sa discographie, vient de paraître, et c'est probablement avec une fidélité teintée de nostalgie que 7.105 fans l'ont aussitôt acheté (un joli score aujourd'hui), plaçant le disque en sixième position du Top.
Un album sans sommet(s) - hélas dépourvu de titres anglais - plombé d'entrée par son single, Le sourire, dont le formatage trahit une probable consigne édictée par le label du chanteur. Après trente secondes, le morceau se noie dans une mayonnaise écœurante, un mid tempo binaire claudiquant sur caisse claire. En consultant les crédits du CD, tout s'éclaire: derrière l'arrangement de l'inusable et sempiternelle Édith Fambuena, officient des instrumentistes qui semblent être devenus incontournables, Marcello Giulani à la basse, François Poggio à la guitare... Excellents musiciens, dont le jeu a fini par lisser la variété. Même son, même doigté, même couleur musicale donnent à force un air d'ascenseur. Ou comment faire d'un artiste à l'inspiration jadis échevelée un chanteur bien coiffé? Il faudrait rappeler aux gens de chez Barclay que Stephan Eicher n'est pas Renan Luce.

Baptiste Vignol