Chanteur d'affaire


Le document est passé en boucles ces dernières semaines lors des nombreux hommages rendus à Claude François à l'occasion de la sortie en salles du film «Cloclo»; une journaliste qu'on ne voit pas à l'image interroge le chanteur - on est au milieu des années 70 et Claude François au sommet de sa gloire :
- Pourquoi faites-vous de la musique commerciale?
Fatigué d'avoir à répondre à une question si sotte bien souvent posée par des gens qui, en réalité, devaient, comme beaucoup, se dandiner chez eux sur ses refrains entêtants, l'idole la fusille du regard et rétorque : «Pourquoi je fais de la musique commerciale? En attendant, ça me fait vivre.» Et tac. L'entretien dévoile ensuite un chanteur doublé d'un homme d'affaire comme on n'avait jamais eu l'habitude d'en entendre, parlant de ses magazines, de ses objectifs commerciaux, de sa cible et de sa clientèle. Étonnant, donc intéressant.
Pourquoi Claude François suscite-t-il encore de la commisération chez les beaux esprits, chez nombre de critiques et de chanteurs laborieux qui peinent tant à devenir populaires? Lui, Claude François, qui créa Comme d'habitude dont l'adaptation anglaise (My way) a gravé le nom en lettres d'or au panthéon du Music-Hall.
Quand on dit Georges Brassens, on répond L'Auvergnat ou Les copains d'abord. Quand on évoque Amsterdam ou Ne me quitte pas, on approuve «Ah! Jacques Brel...» Si l'on parle de Serge Gainsbourg, on songe à La Javanaise, et si l'on fredonne «Avec le temps...», on répond: «Léo Ferré!». Mais que sont ces chansons françaises à côté de Comme d'habitude? D'aimables succès. Au fond, seuls Et maintenant (What now my love) et La Mer (Beyond the see) pourraient pareillement requérir le titre de standard international. De ces chansons-filon qui garantissent la prospérité.
Mais surtout, ce qui rend Claude François éternel, c'est son sens du rythme, de la danse, du peps et de la fête exécutés avec un naturel désarmant, dans un sourire et une légèreté franchement agaçants pour les grincheux. Comment ne pas rêver d'être trois minutes, trois minutes seulement dans la peau de Claude François quand on le voit chanter Alexandrie Alexandra, Je vais à Rio, Chanson populaire, Magnolias for ever, tournoyant parmi ses Clodettes comme des lianes enamourées? Ces extraits d'émissions vieilles de quarante ans ont été diffusés des centaines de fois, et pourtant jamais l'on ne s'en fatigue, comme si l'énergie blonde du chanteur avalait le télespectateur. Claude François reste un cas unique, indémodable, une machine à vendre des particules de bonheur. Il n'est pas interdit de penser que lorsque Michael Jackson sera oublié, Claude François, lui, ne le sera pas.

Baptiste Vignol