Belle étrangère


Dans le temps, on pouvait acheter des 33 tours pour leurs pochettes, parce qu'elles émouvaient, intriguaient, amusaient, parce que la photo était bonne et donnait envie de découvrir le disque, comme l'affiche d'un film peut vous pousser au cinéma. L'apparition du disc laser comme on l'appelait au début des années 80, avec son format au rabais (14x12,5 cm), a sapé l'atout du vinyl... Désormais, les jeunes gens ne fouinent plus chez les disquaires, ils téléchargent gratuitement leurs chansons préférées qu'ils écoutent en mono sur leur téléphone... Qualité 78 tours. À se demander pourquoi les labels continuent d'envoyer leurs artistes en studio. Certaines pochettes cependant sont assez réussies pour inciter quelques maniaques à s'offrir un CD afin de feuilleter son livret et voir ce qu'il raconte. L'effet de NARROW, deuxième album d'Anja Plaschg, musicienne autrichienne âgée de 23 ans qui se fait appeler Soap&Skin et dont le visage serait celui d'une Scarlett Johansson rousse qui aurait posé pour Vermeer. Soap&Skin propose huit chansons hors normes, sorties d'on ne sait quel sous-bois, six anglaises, une allemande et une reprise en français, Voyage voyage, dont la chanteuse Desireless, en 1987, avait fait un hit européen qui avait même franchi les océans. De quoi mettre à l'abri l'auteur Jean-Michel Rivat (qui signa plusieurs textes pour Michel Delpech à qui d'ailleurs était destinée la chanson) et son collaborateur, le co-compositeur et verni Dominique Dubois.
Clippée par Bettina Rheims - c'était là l'une de ses premières réalisations-, Claudie Fritsch-Mentrop, alias Desireless, était devenue un phénomène, portée par sa chevelure, la clarté du morceau et son thème propice à la rêverie. «Sur les dunes du Sahara/ Des îles Fidji au Fujiyama/ Voyage, voyage/ Ne t'arrête pas.» Aux antipodes du traitement froid et synthétique qui habillait la version de Desireless («dénué de désir» en anglais), Anja Plaschg propose une berceuse envoûtante qu'elle interprète au piano, en s'efforçant de la chanter en français... Un parti pris qui va sans doute en étonner beaucoup en ces temps de défaite acceptée de la langue française et qui ne saurait souffrir le moindre sarcasme car la langue appartient à celui qui la parle soulignait Mario Soares, a fortiori à celle qui a pris le parti de la chanter.
Le pouvoir d'une chanson. La beauté énigmatique d'une pochette.

Baptiste Vignol