Souvenez-vous, Branduardi


Pour parler du nouveau disque de Laurent Voulzy, LYS & LOVE, aux sources médiévales, Gilles Médioni évoque dans L'Express Angelo Branduardi. Angelo Branduardi ! Il ne reste que Gilles Médioni dans la presse parisienne pour se souvenir de ce baladin italien, majuscule, et pas seulement pour le naturel "afro hairstyle" de sa crinière.
Au milieu des années 70, soufflait sur l'Europe un courant "folk" gonflé par la montée régionaliste et la redécouverte des folklores. On chantait alors le ruisseau, la vie au château, la libellule, les jongleurs, les champs de coquelicots et les amours de troubadours. Parmi ses saltimbanques, Alan Stivell, l'un des précurseurs de la world music [post it: se souvenir d'écouter CHEMINS DE TERRE, 1973], Gilles Servat (LA BLANCHE HERMINE, 1972), Julos Beaucarne (FRONT DE LIBÉRATION DES ARBRES FRUITIERS, 1974), le groupe Malicorne (L'EXTRAORDINAIRE TOUR DE FRANCE D'ABÉLARD ROUSSEAU, 1978) et Angelo Branduardi. Dix ans avant Stephan Eicher, Branduardi fit figure, mais avec tellement plus d'écho, d'artiste éminemment "européen", avec la féerie magique de ses chansons baroques interprétées dans sa langue maternelle, mais également en anglais, en espagnol et en français. Traduit chez nous dans le texte par Étienne Roda-Gil qui, canalisé par la poésie du Lombard, sut se montrer éclatant. "Je passe les cheveux fous dans vos villages/ La tête comme embrasée d'un phare qu'on allume/ Au vent soumis je chante des orages/ Aux champs labourés la nuit des plages..." (Confession d'un malandrin) Le chef-d'œuvre de Roda-Gil n'aura peut-être pas été de rencontrer Julien Clerc, de cosigner Magnolias for ever (#3 en avril 78) ou Joe le taxi (#1 en juillet, août et septembre 87), mais d'adapter avec enchantement l'univers de Branduardi.
Car Angelo Branduardi, c'est quelques-unes des plus belles chansons enregistrées en français depuis 1977, date de la sortie de son premier 33 tours francophone LA DEMOISELLE, immédiatement suivi par À LA FOIRE DE L'EST (1978), VA OÙ LE VENT TE MÈNE (1980) et CONFESSIONS D'UN MALANDRIN (1981). Autant de trésors dans une discothèque qui se tient. En 1979, à la Fête de l'Humanité, Branduardi le showman enflammait avec son violon plus de 200 000 personnes (le 45-tours La Demoiselle atteindrait la 7ème place du hit-parade en octobre), triomphait en Allemagne, en Belgique, en Irlande, et faisait l'objet en mars 82 d'un Grand Échiquier de Jacques Chancel. Une époque que les fans de Zaz et Christophe Maé ne peuvent même pas imaginer. À soixante ans (il est né en 1950), Branduardi, retiré chez lui, en Italie, continue de publier des disques pointus et salués, enregistre de la musique du Moyen-Âge et de la Renaissance, mais il n'a rien fait en français depuis LA MENACE en 1994.
Que LYS & LOVE de Laurent Voulzy évoque à Médioni le souvenir d'Angelo est un magnifique compliment.

Baptiste Vignol

Branduardi chante Va où le vent te mène au Grand Échiquier
Branduardi chante Le cerisier au Grand Échiquier
Branduardi chante À la foire de l'Est au Grand Échiquier
Branduardi chante La Demoiselle au Grand Échiquier
Angelo Branduardi et Ivry Gitlis au Grand Échiquier
Angelo Branduardi chante L'ami oublié au Grand Échiquier

Le plus récent disque d'Angelo Branduardi, sorti en 2011:


Les charognards


Renaud va mal assurent certains de ses «proches» qui depuis des décennies s'accrochent à son bandana pour un peu de lumière. Renaud va mal, c'est vrai, assez pour que Le Parisien dépêche un «journaliste» à La Closerie des Lilas constater l'étendue des dégâts. Triste évolution d'un journal populaire qui frise maintenant la presse de caniveau. Qu'Emmanuel Marolle torche un papier lamentable sur un chanteur hors promo qui n'a rien à vendre et affirme n'avoir rien à dire, ne saurait surprendre puisque Marolle n'en pince que pour les people, ne connaît rien à la chanson et se fiche donc bien de ce qu'il écrit. Regrettons que ce soit la réputation de son employeur qu'il malmène. Qu'il indique aux lecteurs du Parisien l'endroit exact où trouver Renaud laisse à penser que pour ameuter les charognards, il donnerait le numéro de téléphone du chanteur, s'il l'avait. Le procédé effraie. Mais qu'il n'ait pas le cran de demander à Renaud la permission de le photographier et publie un cliché volé digne de la presse la plus putassière est significatif de l'élégance du personnage... Lui qui signe son article «Déconne pas Renaud», démarquant platement «Déconne pas Manu/ Y a des larmes plein ta bière», ne mérite qu'une réponse: Casse-toi Marolle, et marche à l'ombre!

Baptiste Vignol

Murat pommadé sans honte


Est-ce rationnel d'aimer la chanson française tout en supportant (d'après l'anglais to support) Jean-Louis Murat bien que lui la déteste? «À part Camille, c'est mauvais...» assène-t-il dans les Inrockuptibles (2/11/2011). Comment - et pourquoi - célébrer un maître critiqueur dont le discours officiel, celui des interviews, consiste à débiner la variété? L'écouter, la chanson, ce serait manquer de goût, de finesse, se contenter d'idoles trop prudentes, artificielles et prévisibles jusque dans leur engagement, «des nullards» en somme sans relief ni consistance. «La musique de Biolay [qui venait de se déclarer en faveur de François Hollande dans la primaire socialiste] c’est une musique à la con. [...] L’artiste engagé est une méga-pute. Souvent réactionnaire. Du "c’était mieux avant". Biolay, musicalement, fait du Gainsbourg et donc implicitement il dit c’était mieux avant. OK, merci les mecs, merci pour les gens qui font de la musique maintenant» (Marianne2, octobre 2011). Comme Murat flingue tous azimuts, il n'épargne pas les musiciens de studio qu'il voit, en France, pas mieux que des fonctionnaires accrochés à leurs horaires, les patrons de labels, à côté de la plaque, les journalistes musicaux, forcément incultes, le public, grégaire... Tout un écosystème, toute une caravane qui, parce qu'elle n'a pas su passer l'étape des cabarets après les années 50 - l'âge d'or de la chanson française, quand elle rayonnait sur le pont des arts via Piaf, Montand, Chevalier, Trenet, Salvador, Gréco ou Sablon-, souffre une cruelle défaillance face au vent anglo-saxon qui tout emporte depuis 1960. Ce que dépeint Camille sur ILO VEYOU (2011): «La Chine excelle dans le textile/ La Thaïlande, dans les grains de riz/ Le Japon fait des automobiles/ Et les US, du RNB/ [...] La France, la France ? Des photocopies» (La France).

Si les chansons de Murat dépassent sa mauvaise réputation, c’est qu’elles ne prennent pas la pose, ne font aucune concession ni ne se vautrent sous quelque gimmick de convenance. « Pas d’arrangements chiadés [chez Murat], pas de violons, ni de flonflons, pas de manières petites bourgeoises » (les Inrocks) notait déjà Stéphane Deschamps à propos de PARFUM D’ACACIA AU JARDIN (2004).

Au critérium de la chanson de charme, sexuée, souffreteuse et crottée, Murat court tout seul, avec trois atouts sous le pied qui lui permettent par tous temps et sans équipiers de franchir en tête la ligne d'arrivée.

Sa voix d'abord, qui peut se faire caressante.

Son vécu ensuite, visiblement nourri de lectures, de voyages, de paysages contemplés, de souvenirs dont s'imprègnent subtilement ses textes et jettent des passerelles imprévues vers la poésie de Baudelaire (CHARLES ET LÉO, 2007), le répertoire de Béranger (1829, 2005), le salon de Mme Deshoulières (MADAME DESHOULIÈRES, 2001).

Son désir enfin d'échapper à la loi du single, de ne pas torcher le «gros tchube» cher à Valéry « knockout » Zeitoun, quand il pourrait en faire des pots de confiture. «Entre les putes et les camionneurs, affirme-t-il, il y a le chanteur, son côté putassier, ce travail acharné pour faire des tubes - le tube étant pour moi la définition même du mensonge qui a l'air vrai. Comme cette jeune dame qui s'appelle Zaz et qui chante un tube [Je veux] que les enfants chantaient à la maison avant que je ne l'interdise, c'est la chanson la plus opportuniste du XXIème siècle» (Serge n°7). Point de hit donc, même si la mélodie, dont on sait qu'elle fait le succès d'une chanson, s'en approche parfois. Mais au dernier moment, Murat s'esquive, brise l'élan, s'extrait du toboggan, se jette dans le fossé, comme par une connivence qui le lierait à son public, lequel pourtant n'attend plus que ça, que Murat nous refasse le coup de la chanson d'amour p(r)op(re) et calibrée, qu'il nous berce encore d'«amours débutantes», d'«anges déchus», de «sentiment nouveau», perles indémodables bien que nappées de synthé.

La dernière cuvée JLM s'intitule GRAND LIÈVRE. Grand lièvre ? Serge Levaillant n'y va pas par quatre chemins : «Je ne vous demanderai pas pourquoi. Les chansons suffisent!» (Sous les étoiles exactement, France inter, 4 novembre 2011) Voilà comment se goûte Murat, en se laissant avaler par ses mots, malgré leur opacité, leur exigence, l'angoisse et la mélancolie dans lesquelles ses complaintes se camouflent. Murat ne se dévoile pas, c’est à celui qui l’écoute d’en tirer ses propres leçons.

Depuis dix ou quinze ans, les critiques le chatouillent, espérant un coup de coude assassin sur tel ou tel confrère musicien, épaississant un peu plus à coups d'articles prévisibles la caricature du provincial scrogneugneu. Levaillant, lui, pousse simplement la conversation, avançant par touche, tranquillement, avec une légèreté chaleureuse, et nous dévoile un artiste provocateur certes mais drôle (- Il faut taxer lourdement les retraités de la fonction publique qui vivent après 75 ans!; - Vous ne pensez pas un mot de ce que vous dîtes, Jean-Louis Murat), impertinent, libre et sincère dans son entreprise d'isolement («l'image épouvantable que je développe à plaisir [démontre que] je m'y prendrais autrement si je voulais séduire»), sage («écrire des chansons, c'est un privilège et pouvoir les chanter doit être un plaisir»), réfléchi, littéraire («J'aime les mots, la graphie»), mais avant tout sympathique. Un éclairage bienvenu qui rend encore plus séduisante sa production.

Tous les chanteurs du monde travaillent les mêmes thématiques, toutes les chansons d'amour racontent plus ou moins la même histoire. Celles de Murat s'imposent car elles ont du style, tordant avec panache les lieux communs, se jouent des formats, créent des brumes salutaires où s'esquissent puis surgissent des images victorieuses. Tel un Stephen Roche (Tour de France 92), ou un Agostinho, émergeant du brouillard pour l’emporter col de la Croix Morand.

Avec GRAND LIÈVRE, en série limitée, un live de Murat enregistré en avril 2010 à la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand. Huit titres qui donnent le tournis, et mettent le peloton des chanteurs français en activité loin, très loin derrière le dossard 63.


Baptiste Vignol


(Photo Dominique Houcmant, prise sur le blog de Pierrot, l'un des sites phares consacrés au chanteur)