Bécaud superstar


Le 18 décembre 2001, Gilbert Bécaud disparaissait à l'âge de 74 ans. Après dix années de silence, on se souvient enfin de lui, le temps de sortir une compilation de ses grandes chansons interprétées par des chanteurs d'aujourd'hui (mention spéciale à Lynda Lemay, magnifique dans Mes mains) et d'hier, Johnny, Eddy, Julien Clerc, la vieille Souche... L'occasion également d'un hommage chez Michel Drucker, et d'un bel ouvrage signé Kitty Bécaud, l'épouse du chanteur, et Laurent Balandras, «Bécaud, la première idole», aux éditions Didier Carpentier.
Parmi les 140 pages richement illustrées de photographies et de documents, ces quelques souvenirs d'une après-midi électrique que Laurent Balandras m'a demandé de raconter.

« Il venait de publier ce qui serait son dernier album studio, FAUT FAIRE AVEC, en 1999. J’étais programmateur à La Chance aux chansons. Pascal Sevran m’avait fait l’honneur de me confier la responsabilité d’une émission consacrée à Gilbert Bécaud. Il interpréterait deux nouveaux titres, dont l’émouvant Faut faire avec où le chanteur évoquait son cancer, et deux ou trois standards, Nathalie, Et maintenant, Je t’appartiens
J’avais déjà croisé sur le plateau de “La Chance” quelques phares de la chanson, Guy Béart, Anne Sylvestre, Charles Trenet, Gilles Vigneault, autant de monstres sacrés qui forcent l’admiration, l’anxiété parfois.
- Bécaud?... Bon courage! Il va t’en faire voir de toutes les couleurs.
La star, car c’en était une! traînait une fâcheuse réputation depuis une gifle envoyée à l’humoriste Dan Bollender. Pascal Sevran, dont Bécaud était l’idole de jeunesse, avait prévenu: “Enregistrez les chansons d’abord, j’arriverai au dernier moment pour mettre en boite l’émission et l’interviewer à l’antenne. Je ne veux pas le voir trop tôt, il va encore m’appeler: “Maman!”
Quand Bécaud arrivait sur un plateau, c’était un pilier du music-hall qui se transportait. Nous étions tous au garde-à-vous, Tintin, le réalisateur, en tête, l’attendant au centre du studio. Il y avait de l’électricité dans l’air. Ponctuel, Bécaud fit son entrée, accompagné de son attachée de presse, d’un assistant et de sa fille Emily avec laquelle il ne conversait qu’en anglais. Carré dans son costume, la démarche volontaire, en forme malgré le mal qui le rongeait, Bécaud prit le temps de saluer toutes les personnes présentes sur le plateau, du balayeur aux cameramen en passant par les maquilleuses, les figurants, les éclairagistes, pour finir avec le réalisateur, Gérard Marchadier, à qui Bécaud expliqua tout de go, avec une autorité franchement cordiale, de quelle façon il chanterait ses chansons et comment il faudrait le filmer!
Rejoignant alors la table de production sur laquelle se trouvait l’écran de contrôle et où l’attendait un fauteuil, Bécaud demanda qu’on lui apporte une vingtaine de verres en plastique qu’il remplit de whisky-coca (il avait avec lui une bouteille de deux litres) et qu’il offrit aux techniciens dont il reconnut certaines têtes croisées jadis sur les shows des Carpentier… C’était ça, Bécaud, un caractère affirmé, méditerranéen, un incroyable charisme, une voix théâtrale, mais un homme poli, avenant, simple, souriant et gentil.
Pour cette émission dans laquelle il chanterait en direct, Bécaud avait demandé un piano droit. Avant de s’y asseoir, il entreprit de le désosser, expliquant que ce serait moins ordinaire à l’image. Et le résultat fut parfait ! Pas de répétition avec Bécaud. Chaque prise était la bonne. Derrière mon écran de contrôle, je me souviens encore de son regard, qu’il plantait comme personne dans la caméra. J’avais devant moi probablement le plus grand interprète francophone. Et Sevran, qui depuis son bureau surveillait l’avancée des enregistrements, me téléphona après celui de la dernière chanson : “C’est très bien, mon garçon. Fais-le patienter, je descends.”
Quand quelques minutes plus tard l’animateur posa le pied sur le plateau, se dirigeant vers son invité pour le saluer, on entendit un énorme et chaleureux “Maman!”. Fidèle et blagueur, Bécaud était au rendez-vous.»

Baptiste Vignol