La retraite? C'est cuit-cuit.


« La retraite/ Dans ma tête/ C’est loin, comme/ Tahiti en ferry ». Dans La retraite, qui figure sur son troisième album, NUL SI PAS DÉCOUVERT (2009), Gérald Genty résume ce dont n’ont jamais douté les Français nés sous Pompidou et ss. : l’actuel système de protection sociale créé après la deuxième guerre mondiale - quand l’espérance de vie était de soixante-cinq ans - est usé jusqu’à la corde.
Songeons qu’en 1833, preuve que le problème ne date pas d’hier, Balzac écrivait dans Le médecin de campagne : « Il y a fait des démarches [à Paris] pour obtenir, non les mille francs de pension promis, […] mais la simple retraite à laquelle il avait droit après vingt-deux ans de service». Vingt-deux annuités, alors qu’on vivait en moyenne jusqu’à l’âge de quarante ans… Deux siècles plus tard, notre espérance de vie a doublé, et tout naturellement avec, le nombre d’années de cotisation pour toucher sa pension.
La question du droit à la retraite, qu’on imagine mal inspirer les chanteurs de charme (« Plus on avance dans la vie, plus on se rend compte qu'il n'y a que l’amour et la mort qui comptent. L'axe même d'une vie humaine, c'est d'aimer et de savoir mourir. Je ne vais pas écrire des chansons sur la politique ou sur le changement climatique!» Jean-Louis Murat in La Montagne, 29/9/2010), enrôle le bon peuple de France depuis que le gouvernement a décidé de reculer l’âge minimal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans, et que le Sénat, après une mobilisation sans précédent depuis le début de la protestation contre cette réforme, doit examiner cette semaine le projet de loi déjà adopté par l'Assemblée nationale.
Blocus, opérations escargot, défilés populaires… Des millions de salariés rejoints par les lycéens et les étudiants battent aujourd’hui le pavé, soutenus par 71% des Français (sondage paru le 18 octobre), scandant l’air du Si tu savais: « Sarkozy, si tu savais, ta réformeuh, ta réformeuh, Sarkozy, si tu savais, ta réforme où on s’la met…» De quoi fâcher un président qui fier comme un paon se vantait en juillet 2008: «Désormais, quand il y a une grève en France personne ne s'en aperçoit»…
L’un des premiers chanteurs «concernés» à s’être penché sur le sujet des pensions fut Léo Ferré, en 1964 : « Tous ces pauv’s gens qu’on voit traîner/ À la queue des allocations/ Avec leurs mains à s’rembourser/ Les eng’lur’s d’la mauvais’ saison/ Comme des rapac’s qu’auraient plus d’bec/ Des lions qui se s’seraient faits pédés/ Sans crinièr’ sans salamalecs/ Avec un bout d’griff’ pour signer » (Les retraités). Dépassé? En janvier 65, Ferrat gagnait sa liberté en proposant sur un 25 cm La Montagne qui deviendrait son plus grand succès : « Leur vie, ils seront flics ou fonctionnaires/ De quoi attendre sans s'en faire/ Que l'heure de la retraite sonne »… L’amorce d’un index de chansons clairsemé, mais inachevé, parmi lesquelles La retraite (1990) d’Allain Leprest et Romain Didier, L’âge ingrat (2002) de Doc Gynéco, Mr René (2003) de Bénabar, Les retraités (2003) de Thierry Stremler, Jeune à la retraite (2009) de Féfé…
Pour autant, si les Français manifestent, est-ce vraiment contre cette réforme ? Ils savent, disent-ils, qu’il faut revoir le système, et reconnaissent aux gouvernants de ne pas pratiquer la politique de l’autruche, mais ils exigent vaguement que cela « se fasse autrement»… Alors, la fronde ne serait-elle pas au final simplement anti-sarkozyste, moins raisonnée qu’épidermique ? Le conflit des retraites étant en ce cas l’expression d’une colère contre l’injustice, d’une nausée face à l’écartelement grandissant entre les riches et les pauvres, qui ne semble pas émouvoir les faucons de l’UMP.
« La retraite/ Dans ma tête/ C’est comme d’l’art abstrait/ C’est compliqué » (La retraite) commentait Gérald Genty qui concluait sans se plaindre : « La retraite/ J’ai compris/ C’est cuit, cuit. »
Nul besoin d’être un oiseau rare pour saisir le véritable motif du conflit.

Baptiste Vignol