Vous avez dit Flaubert?


Comment remettre Flaubert au goût du jour? En exhumant d’une correspondance oubliée un détail qui ferait aujourd’hui caution. Depuis ses années lycée, Nicolas Sarkozy a-t-il jamais lu du Flaubert ? La question pourrait se poser puisqu’il s’est fait élire à la présidence de la République en expliquant aux Français qu’il partageait avec eux les mêmes idoles, Marc Lévy pour la littérature et Johnny Hallyday pour la variété. Depuis qu’il a épousé Carla Bruni, ses références auraient pourtant bien changé, il lirait maintenant Céline, cite en exemple « La vie est belle » de Frank Capra et adorerait Georges Brassens. Bon. Bien. Mais Gustave Flaubert, là-dedans ? Minute, papillon ! Allons-y par des chemins de traverse…
Nicolas Sarkozy connaît-il cette chanson d’un ancien moustachu qui dit: «Y a un panneau depuis:/ “Stationnement interdit”/ Comme s’il y avait eu la peste !/ T’as plus qu’à chercher ailleurs/ Des gens qui auront moins peur/ En espérant qu’il en reste…» ?
Elle s’appelle Gitans, date de 1985 et figurait sur l’album PHOTOS DE VOYAGE de Francis Cabrel. Quinze ans auparavant, Jean Ferrat (dont Nicolas Sarkozy dit au lendemain de sa mort, le 15 mars 2010: «Avec Jean Ferrat, c’est un grand nom de la chanson française qui disparaît. Chacun a en mémoire les mélodies inoubliables et les textes exigeants de ses chansons, qui continueront encore longtemps, par leur générosité, leur humanisme et leur poésie à transporter les âmes et les cœurs, à accompagner aussi les joies et les peines du quotidien») prédisait déjà dans sa moustache : «Le ciel se fait lourd, les roses se fanent/ Nous vivons le temps des derniers tziganes» (Les derniers Tziganes, 1970), ceux-là dont Léo Ferré rappelait en 1962, longtemps après avoir rasé la sienne, de moustache : «Ce sont nos parents anciens/ Ces Indo-européens» (Les Tziganes).
Ferrat, Ferré, Cabrel… Le rapport avec Flaubert? On y vient. En 1867, l’écrivain rapportait à son amie George Sand : « Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j'en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule, en leur donnant quelques sols. Et j'ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d'ordre. C'est la haine qu'on porte au Bédouin, à l'Hérétique, au Philosophe, au Solitaire, au Poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. »


Prenant connaissance de ces lignes - via Pierre-Marc de Biasi, le spécialiste de Flaubert s’il en est -, le site Rue 89 s’est empressé d’en faire sa tribune du 31/08/2010. Certains objecteront que la posture de Flaubert est évidemment celle d'un nanti qui ignore tout des nuisances causées par la présence de ces campements dont il ne voit, comme le touriste de passage, que ce qui, pour lui, est poésie; d’aucuns soulignant par ailleurs qu’Apollinaire a lui aussi traduit de façon quasi idéale la poésie du mode de vie du peuple Rom, également appelé Gitans, Tsiganes, Manouches, Romanichels ou Bohémiens, et dont l’estimation du nombre varierait aujourd’hui de 6 à 15 millions.
Avec plus ou moins de poésie, d’angélisme et parfois de démagogie, la chanson s’est elle aussi laissée porter par l’errance nomade. De Tino Rossi (la Bohémienne aux grands yeux noirs, 1936) à Mano Solo (Les Gitans, 2000) en passant par Mouloudji (Mon pote le gitan, 1954), Dalida (Les gitans, 1958), Leny Escudero (Le bohémien, 1974), Zebda (Le manouche, 1998) ou le répertoire de Titi Robin. Mais s’il fallait ne retenir qu’une chanson, ce pourrait être Salut Manouche (1979) de Renaud, pour cette entame imparable rayon "je pose le décor" : «Quand tu t’es pointé sur la zone/ Qui pousse au pied d'mon HLM,/ Tu as garé ton vieux Savième/ Près d'un pylône./ Z'aviez rangé vos caravanes/ Comme les chariots dans un western,/ Soudain dans ma banlieue minable/ C'était moins terne./ Toi, ta famille, tes chiens, tes mômes,/ Tes copains, tes frangins, tes poules,/ C'est comme une grande bouffée d'ozone,/ Quand ça déboule »… Et ce quatrain, poignant parce qu’inattendu : “Si tu r'tournes bientôt aux Baumettes/ Essaie d'dire bonjour à mon vieux/ Dis-y qu'j'ai r'trouvé ses lunettes/ Au d'sous d'son pieu. » De la belle ouvrage.
Installés en Europe depuis le XVème siècle, les Roms pourront, dès 2012, selon les lois européennes, résider où bon leur semblera dans l’Union. Pourtant, coup d’épée dans l’eau, la France les chasse aujourd’hui à grand renfort de communication ! Au nom de quelle urgence? De quelle stratégie? De quelles augures? « Je ne serai tout de même pas assez stupide pour demander à une gitane de me révéler mon avenir » écrivait Pierre Mac Orlan - qui fut aussi formidable parolier - dans son roman la Bandera (1931). Nul ne saurait non plus le conseiller à Nicolas Sarkozy…

Baptiste Vignol