Toute en sobriété

LA PLUIE SANS PARAPLUIE est le 26ème album-studio de Françoise Hardy. Celle qui est la seule artiste française dont les chansons sont diffusées de Buenos Aires à Tokyo, en passant par Sydney, Hong-Kong, Londres ou Rio, répond ici à quelques questions naïves inspirées par son dernier CD.


"
J'écris mes maux les nerfs à cran" chantez-vous dans Noir s
ur Blanc qui ouvre votre dernier disque. Travaillez-vous dans l'urgence, comme disait le faire Serge Gainsbourg, en travaillant et en retravaillant vos textes comme l'expliquait Georges Brassens, ou seriez-vous plutôt comme Charles Trenet qui affirmait écrire des chansons comme un pommier fait des pommes?

Françoise Hardy - Je suis une laborieuse. Rien ne me vient facilement et je suis incapable de travailler dans l'urgence. Je ne suis pas prolifique, je ne suis pas du premier jet : il me faut du temps pour trouver une idée, trouver les mots pour l'exprimer et remanier sans cesse pour coller à la mélodie au mieux.

"Pas plus de ressort / Qu'un vieux hareng saur" chantez-vous dans Champ d'honneur. Était-ce une évocation du poème de Charles Cros? L'humour perce souvent dans vos chansons, pour qui sait les écouter. Qu'est-ce qui vous amuse en général ?

- Le hareng saur est un mot qu'utilisait Alain Lubrano, le compositeur, sur sa maquette. Le mot m'a fait rire et je l'ai donc gardé. Mais je ne pense pas qu'Alain connaisse Charles Cros... À part ça, j'aime par dessus tout l'humour de Woody Allen et l'humour anglais, Winston Churchill, Agatha Christie, Oscar Wilde…


"Au diable les vieux refrains" dites-vous dans Les pas. Quel(le)s jeunes artistes aujourd'hui pourraient vous faire penser à celle que vous étiez quand vous avez pris le "risque" d'enregistrer LA QUESTION en 1971?

- Ce n'était en rien une prise de risque. J'adorais les chansons de Tuca et étais très heureuse de pouvoir les chanter ! Il y a aujourd'hui de nombreux jeunes artistes qui ont beaucoup de talent et sont bien plus matures, intelligents, musiciens et ont un vocabulaire infiniment plus riche que moi au même âge. Je pense, entre autres, à Sophie Hunger, Camille, Camélia Jordana, Jeanne Cherhal pour les filles, Benjamin Biolay, Julien Doré, Babx pour les garçons, sans oublier Thomas…

Vous faites preuve d’humilité – et cela vous caractérise - en évoquant une maturité, un talent dont vous n’auriez pas disposé à cet âge… D’ailleurs, il suffit de réécouter Tu ressembles à tous ceux qui ont du chagrin pour s’en convaincre… Le chagrin, la mélancolie semblent bercer votre inspiration. Pouvez-vous nous dire, par exemple, pourquoi Que reste-t-il de nos amours ?, que vous avez enregistrée avec Alain Bashung, est votre chanson préférée ?

- J'ai toujours eu du mal à expliquer une évidence. La mélodie de Que reste-t-il de nos amours ? est très belle, très mélancolique et totalement intemporelle – on la chantera encore dans mille ans s'il y a encore des êtres humains dans mille ans... Et le texte exprime joliment quelque chose que tout le monde ressent, car tout le monde est hélas amené à se poser cette question aussi déchirante que désabusée plusieurs fois dans sa vie.

(Françoise Hardy au micro de François Jouffa à Carré Bleu sur Europe 1 en 1971)

"Le temps de l'innocence/ Comme c'est loin déjà" regrettez-vous dans Le Temps de l'innocence. Le temps des yéyé, le temps des copains et de l'aventure... François Jouffa disait dans un précédent entretien qu’il n’avait jamais eu conscience de vivre quelque chose de spécial dans les années 60, qu’interviewer les Beatles, Bob Dylan ou les Rolling Stone, c’était pour lui comme aller passer un moment avec des copains. Que tout semblait aller de soi... Regrettez-vous cette période? Quelle fut votre réaction quand vous avez appris que Bob Dylan vous dédiait un poème sur la pochette de l’album ANOTHER SIDE OF BOB DYLAN ?

- Je ne regrette pas spécialement cette époque. Ce que je regrette surtout, c'est la jeunesse, avec l'énergie et la tendance à aimer follement qui vont avec. Je regrette aussi le fait que nous étions moins nombreux, que la concurrence était moins forte. La surpopulation est une calamité dont on ne parle pas assez et contre laquelle on ne fait rien... J'ai sans doute eu du mal à croire que Bob Dylan m'avait dédié un poème. Je me souviens que c'est David McNeil qui me l'a appris ainsi qu'envoyé le poème en question. Mais ce n'est pas le genre de chose qui me touche. Je suis beaucoup plus touchée si un artiste que j'admire apprécie l'une de mes chansons. Je me sens étrangère aux fantasmes éventuels inspirés par mon physique, par mon apparence…



Avoir marqué, et dans le monde entier, les années 60 d'abord, puis la musique pop des années 70, constitue-t-il un sentiment, disons, vertigineux?

- Tout est relatif et je ne pense jamais à ce genre de chose.

C’est précisément cette distance par rapport au personnage que vous êtes qui vous rend si attachante, outre la qualité de vos chansons. « Ne jamais donner prise / Garder la main / Et sourire, l’air de rien » chantez-vous dans Esquives… Si l’on vous demandait de donner un synonyme, un seul, du mot « élégance », lequel choisiriez-vous ?

- Sobriété.

L’adaptation en anglais (You know me) de Voilà (dont vous aviez signé les paroles et la musique, et qui figure sur l’album MA JEUNESSE FOUT LE CAMP) par Robbie Williams vous semble-t-elle assez... sobre ? Avez-vous été prévenue de l’enregistrement de ce titre ?

- Il me semble que mon éditeur et moi avons été prévenus, peut-être pas avant l’enregistrement lui-même, mais avant sa sortie. J’apprécie ce qu’a fait Robbie Williams en l’occurrence, surtout à cause de l’énergie qui s’en dégage, sans parler de la qualité du son et du chant!


Dans Ah! Si vous connaissiez ma poule, Maurice Chevalier rendait hommage à Danielle Darrieux. C'était en 1938. Soixante-douze ans plus tard, vous lui dédiez Je ne vous aime pas, inspirée de la fameuse réplique que l'actrice adresse à Vittorio de Sica dans le film "Madame de". N'avez-vous jamais été tentée par le cinéma? Quel est votre film culte?

- Vaste question. En tout cas, pour Danielle Darrieux, le film que je préfère avec elle est "La vérité sur bébé Donge" d'Henri Decoin. L'un de mes films préférés est "Separate lies" de Julian Fellowes avec Rupert Everett et Emily Watson : un chef d'œuvre absolu et pas assez connu en France. Je pense aussi à "Une autre femme" de Woody Allen, "The Constant gardener" de Fernando Meirelles avec Ralph Fiennes, "The Age of innocence"de Martin Scorsese avec Daniel Day-Lewis, "Les vestiges du jour" ou "Retour à Howards End" de James Ivory, etc. etc. etc. Non, je n'ai jamais été tentée par le cinéma car j'ai horreur d'être en représentation et suis incapable de jouer la comédie.

Sur votre album de duos, vous invitiez Alain Delon à interpréter un titre de Jean Bart, Modern Style. Pourquoi Alain Delon ?

- Parce que le texte de Modern style est très noir et que j'ai toujours perçu Alain Delon comme quelqu'un de sombre, comme un écorché vif. Et puis, c'est une légende vivante, et j'ai toujours apprécié son très grand talent d'acteur, et son élégance innée.

La chanson Un cœur éclaté est, elle, dédiée à la romancière Rosamond Lehmann. Le formidable succès de votre autobiographie pourrait-il vous inciter à vous plonger dans l'écriture d'un roman, d'un recueil de nouvelles?

- Certainement pas. Je n'ai aucune imagination et ne suis pas un écrivain.

Dernière question. "Du fond de mon lit, j'entends tomber la pluie" chantez-vous dans La pluie sans parapluie. Mais vous parlez d'une pluie parisienne, froide, citadine. Il existe aussi sous des latitudes tropicales des pluies assourdissantes, tièdes, instantanées. Voyager vous est-il nécessaire?

- Je n'aime pas voyager et m'intéresse moins au monde extérieur qu'au monde intérieur qui m'inspire bien davantage. J'aime les grandes villes et la beauté de la nature à laquelle j'ai accès soit à Paris, soit en Corse, me suffit et m'émerveille sans cesse.

(Entretien Baptiste Vignol)