Merci Monsieur


En décembre 1979, Georges Brassens déclarait dans VSD : "S’il fallait faire un palmarès de mes chanteurs préférés, je dirai qu’en France il y a cinq grands : Charles Trenet, Tino Rossi, Jacques Brel, Jean Ferrat et Guy Béart. J’insiste sur Guy Béart, car on l’oublie toujours."
En 1979, Brel reposait déjà aux Marquises. Tino Rossi mourrait en 1983, deux ans avant la première édition des Victoires de la Musique. Jamais honoré par ses pairs, Charles Trenet rendit l'âme en 2000. Jean Ferrat, lui, vient de s'en aller. Son ultime compilation, sortie fin octobre 2009, se sera vendue, au jour de sa disparition, et sans aucune promotion (!), à 145 000 exemplaires. Mieux que les derniers disques de Mylène Farmer, Benjamin Biolay, Charlotte Gainsbourg ou Gérald de Palmas !
Cette Victoire que ne cessa de modeler pour lui le Public au sens le plus noble du terme vaut bien les piètres trophées que l’on remet en grande pompe aux idoles encensées par les grand-messes télévisuelles. Il ne saurait y avoir pour Ferrat d’autre Victoire d’Honneur.
Puis il y a Guy Béart. "Insistons sur Béart, car on l'oublie toujours." Même si, alors qu’aucun média n’en avait parlé depuis plus de dix ans, le Nouvel Observateur, grâce à Sophie Delassein, lui a consacré trois pleines pages en décembre 2009, nous apprenant notamment que le poète avait enregistré chez lui, avec la crème des musiciens français, "douze nouvelles chansons splendides" qu'aucune maison de disques ne s'est encore décidée à distribuer...
En attendant que les censeurs des Victoires ne révisent leurs classiques, et que les patrons de labels ne fassent preuve de mémoire, Jean Ferrat, l'homme qui chantait Nul ne guérit de son enfance, n'est plus. "Amour orange amour amer / L'image d'un père évanouie / Qui disparut avec la guerre / Renait d'une force inouïe..." Auschwitz, Drancy sont des stigmates que Jean Tenenbaum a porté en toute discrétion sans manquer à l'Honneur mais qui ont nourri l'œuvre de Jean Ferrat. Contre la barbarie qu'il a dénoncée sans faux-semblant, il a fait le choix de l'amour qu'il a chanté comme personne. La chanson française est en deuil et la France toute entière. De quoi laisser sans honte couler nos larmes.

Baptiste Vignol