Jetée dans la gueule du monde




















Les fellations sont éternelles” lisait-on récemment dans les pages culturelles de Marianne (n°576). Il faut dire qu’un scopitone montrant Marilyn Monroe à genoux, en plein exercice (sur la probable personne d’un des frères Kennedy), vient d’être vendu pour 1,5 million de dollars! Aussitôt acheté, l’acquéreur new-yorkais a déclaré, “par respect pour la mémoire de Marilyn”, vouloir “garder pour lui” ce petit film en noir et blanc d’une quinzaine minutes. 46 ans après sa mort, Norma Jean Baker n’a pas fini de fasciner.
L’homme imbu de morale chrétienne assigne à la sexualité l’unique fonction de la procréation. Aussi la morale yankee a-t-elle longtemps prohibé la fellation. Mais en 1997, une jeune assistante, Monica Lewinski, chamboula cet état d’esprit. Depuis qu’elle se fit piéger par Clinton, la chose n’est plus perçue aux États-Unis comme une relation sexuelle, donc comme un acte adultère. Et Mademoiselle Lewinski fait aujourd’hui partie, avec Eva Péron, Marilyn “The Mouth” Monroe, c’était son surnom, et Marlène Dietrich (dont on a prétendu que toute son activité sexuelle se limitait à son talent fellatoire), du cercle cadenassé des Suceuses immortelles.
Les Françaises des années 00 ne se bousculent pas pour y siéger, ni ne s’empressent de la chanter! Madame et Monsieur Mitsouko - c’était le secret de leur singularité - se fichaient comme de l’an 40 des convenances morales, textuelles et musicales, et affirmaient: “C’est une de ces choses/ Que la vie propose/ Et qui vaut l’coup/ […] Une fois qu’on ose/ On y prend goût” (La taille du bambou, 1996). Car cette caresse présente également l’avantage de pouvoir s’offrir à tout âge, à toute heure, en tous lieux, confortablement, même au volant! Pour traiter l’ambrouille Ambiel, Guy Konopnicki rappela qu’en France, on ne s’indigne pas quand il s’agit de bagatelle. On se gausse. Parfois même, on y gagne la postérité: “On se souvient moins du principal méfait du président de la République Félix Faure, qui avait couvert la justice militaire lors de la condamnation du capitaine Dreyfus, que de sa mort à la suite d’une fameuse “pompe funèbre”. Ainsi, un chef de l’État français fut enterré au milieu des rires et des quolibets… Plus tard, le même sort échut au très respecté cardinal Daniélou, dont on a oublié qu’il était un prélat plutôt progressiste, très populaire dans les mouvements de jeunesse. Décédé dans un hôtel de passe de la rue Saint-Denis, Daniélou est entré dans l’histoire pour cette mort en état d’expectase, et qui fit les beaux jours du Canard enchaîné” (Marianne, 26 avril 2004).
Fut-ce en pensant au cardinal qu’Henri Tachan écrivit en 1978 son unique succès populaire, qui préconisait ce baiser aux couches les plus âgées de la population? “Fais une pipe à pépé, avant qu’il ne la casse/ Un’ p’tite langue à Mémé avant qu’elle ne trépasse/ Et ne pouss’ pas des cris d’horreur, d’indignation:/ Ils sont comme toi, les vieux: ils ont l’cul sous l’chignon!” (Une pipe à pépé). Mais Tachan regorge de talent! Il peut donc sans crainte s’attaquer à ces Himalaya… Car voilà des travaux pratiques qu’il faut déconseiller aux paroliers approximatifs qui brûlent de s’y tester. Pour se sortir indemne d’un tel exercice, mieux vaut avoir de la carrure, du souffle, du langage et un humour de haute futaie…
Longtemps méconnu, le mot fellation fut supplanté par le verbe sucer, et par des tournures au goût douteux: tailler une pipe, faire une turlute, tirer sur le bambou, scalper le mohican, avaler la fumée. Pierre Perret par exemple, en “polisson de la chanson” passionné par les subtilités de langue française, assurait, l’air coquin: “La femme du beau Philippe […]/ Vous fignolait des pipes/ Aussi bien qu’à Saint-Claude/ Mais j’préférais Alice/ […] Qui avalait la fumée” (Je ne suis jamais allé aux putes, 2002).
Si les dictionnaires boudèrent le terme fellation jusqu’au début des années 80, elle n’en demeure pas moins, depuis la nuit des temps, l’une des faveurs les plus appréciées. Depuis les années 90, les rastignacs de la varièt’ (Elmer Food Beat, Dans ta bouche, 1991; Doc Gynéco, Secrets sucrés, 2001; David Lafore, 20 francs, 2007; &c.) n’hésitent plus à l’évoquer, flairant le scandale bon marché pour (re)goûter au succès. Mais c’est Joséphine Baker qui s’y était risquée la première (“C’est meilleur que la banane/ Ça se suc’ par le p’tit bout…”, Voulez-vous de la canne à sucre?, 1930), avant qu’une blondinette, France Gall, ne l’érige au sommet des hit-parades (Les sucettes, 1966). En 1979, une nymphette bruxelloise connaîtrait également la gloire avec un titre évocateur, Banana Split...
Trente ans plus tard, les gogos s’enfièvrent avec les sex-tapes, ces vidéos tournées dans le cadre privé mais qui se retrouvent divulguées sur le web suscitant un énorme buzz autour de l’“actrice” en question. Pamela Anderson, Paris Hilton, Shakira… Voici venu le tour de Marilyn, “étincelle sexuelle/ frêle idole blonde » comme l’a chanté Arthur H, d’être « jetée dans la gueule du monde » (Marilyn Kaddish, 2003) ! Elle est surtout la première véritable star éclaboussée, post-mortem qui plus est, par ce corollaire du voyeurisme. “Ne rencontre pas les artistes, tu serais déçu” chantait Henri Tachan (Ne rencontre pas les artistes, 1999). Regarder une super-star s’ébattre dans une chambre de motel, mal éclairée, après un dîner arrosé, peut-il renforcer son aura? Mis au courant de l’existence de ce film, Joe Di Maggio, l’un des maris de Marilyn, avait proposé en son temps 25 000$ pour l’acheter et le détruire. Mais le FBI préférera le conserver dans ses archives. Depuis, un petit malin a réussi à en faire une copie…

Baptiste Vignol